La poubelle pour oreiller
# 21/01/2020 - Quand la misère côtoie les étoiles. (écrit en décembre 2019 et en janvier 2020)

Ah que ce voyage est long et difficile. À chaque épreuve, les semaines et les mois qui s’étendent devant moi me paraissent encore plus éloignés qu’auparavant. Ce périple est bien plus dure que ce que je m’imaginais.
Depuis notre arrivée en Amérique du Nord en septembre, nous avons dormi dans un petit meublé avec le matelas posé à même le sol dans le salon pour laisser la seule chambre disponible à Caleb. En arrivant, tout était sale et il a fallut nettoyer. Nettoyer la machine à laver qui avait encrassé tous nos habits dès sa première utilisation, nettoyer le sol et le lit qui reluisaient d’une graisse puante, nettoyer la vaisselle crasseuse, bref nettoyer pendant toute une matinée alors qu’au vue du prix payé, on pensait rentrer dans un logement propre.
Puis nous avons été dans une colocation près de New York; là tout était nickel mais la nuit, il faisait très froid, le vent hivernal s’engouffrait à travers les vitres mal isolées.
Ici et là nous avons passé quelques nuits dans des hôtels, parfois convenables, d’autres fois, une épreuve à nous arracher les larmes du désespoir. Comme dans le Missouri où il a fallut changer de chambre deux fois parce que la première sentait une odeur de cigarette insoutenable et la deuxième offrait un parfum d’excrément et d’urine de chien (après inspection, les coupables se trouvaient sur les draps et sous le lit).
Lorsque des amis d’amis nous ont ouvert les portes de leur maison sans même nous connaître, la reconnaissance à toujours été le premier réflexe. Pourtant, là encore, les expériences ont été multiples. Une nuit dans un sous-sol aménagé aussi confortable que notre maison charentaise, ailleurs, une chambre où il fallait se serrer entre les valises posées au sol, le chien dormant au pied du lit et Caleb installé dans son lit de voyage dans le dernier espace disponible. Parfois nos hôtes nous ont même laissé leur chambre, dormant eux-mêmes sur le clic-clac du salon. Recevoir une telle hospitalité peut devenir parfois assez gênant.
Mais quand une femme partie en vacance nous a généreusement laissé son appartement pendant son absence, nous pensions avoir tout vu. Une fois sur place, on a découvert un chat et un chien dont il fallait s’occuper. Heureusement, l’entente avec notre chien s’est faite sans problème. Mais problème il y avait. Le logement sentait mauvais, le chat avait décoré une partie de la moquette, une autre partie était trempée, notre lit sentait mauvais et tous les draps ont du partir au lavage. Et là on découvre un matelas en mousse déchiré, posé par dessus un autre matelas encore plus rustique qui lui-même recouvrait un dernier matelas qui ressemblait enfin à un vrai matelas, mais d’il y a 50 ans. La salle de bain sentait fortement le tabac et il a fallu nettoyer tout le sol, la cuisine et la vaisselle. Mais rien à faire pour l’odeur malgré les huiles essentielles. Et quand on a compris que le chien ne nous laisserait pas dormir, mais surtout qu’il finirait par réveiller Caleb, j’ai enfin versé quelques larmes de fatigue, de stress et de frustration. Toute la nuit ça jappait derrière notre porte, aussi bien qu’à 3 heures du matin, j’ai fini par aller me coucher dans le salon sur un canapé puant et sale, pour tenir compagnie à cette brave bête qui a fini par se taire. Là dans le noir, je me suis dit que cette aventure que j’offrais à ma femme et mon fils n’était pas aussi reluisante que je l’aurai cru.
Ah que ces odeurs du chez-nous me manquent, les odeurs de mon lit, de la lessive que Mandy utilisait, de la forêt de Cloulas. Mais tout ça, c’est tellement loin maintenant que toutes ces bonnes odeurs ne sont plus que de lointains souvenirs que je n'arrive même plus à distinguer.
Après 4 mois de voyage, je pourrais dire que nous avons déjà tout connu, tout vécu, mais ce serait faux! Alors que j’écris ces quelques lignes à 5h45 du matin, installé dans ce fauteuil miteux et crasseux, un espèce de chien sauvage aux allures de dingo en manque d’amour allongé à mes pied, je me rappelle de Washington.
Ce souvenir douloureux me ramène à la réalité et me permet de voir l’obscurité d’un monde bien plus sale que ce que sent mon nez en ce moment. Un monde où dans la capitale américaine, à la station de métro L’Enfant Plaza, dort un homme tout en bas d’un escalator. Enroulé dans un sac de couchage taché et troué, il fait dos aux passants qui comme moi sortent et rentrent du métro pour vaquer à leurs occupations. Lui, il dort là contre ce mur froid, en pleine après-midi, entre ombre et lumière, la tête contre une poubelle que très certainement plus personne n’ose utiliser depuis qu’elle est devenue son oreiller. Il ne faudrait pas trop s’approcher de la misère non plus.
Quel est ce monde où on laisse l’homme dormir contre une poubelle? Quelle est ce monde où on passe devant la misère dans l’indifférence la plus totale? Mais surtout quelle est cette misère qui transforme la vie en ruine?
Si j’habitais Washington, est-ce que j’aurai osé accueillir cet homme chez moi, dans ma maison, là où dorment ma femme et mon fils? Probablement pas. Et est-ce qu’il aurait accepté l’invitation? Probablement pas non plus. Malheureusement je n'ai pas de solution face à la misère humaine à grande échelle.
Et alors qu’on s’approche de la Californie, quel paysage urbain va s’offrir à nos yeux là-bas? Certes, il y a la Silicon Valley, les multinationales, l’industrie du divertissement, Hollywood, le surf et j’en passe. Mais il y a aussi l’industrie de la pornographie, l’esclavage sexuel, les addictions, les sectes, une immense précarité et des tentes installées en plein cœur de Los Angeles où la misère côtoie les étoiles.
Qui peut bien croire que l’homme est foncièrement bon?
Qui peut dire de ces sans-abris qu’ils sont indignes?
Nous portons tous en nous cette indignité, l’indignité d’être appelé humain, l’indignité d’avoir tous le même sang et pourtant, l’audace de croire que ceux qui tombent ne sont pas nos semblables.
Depuis notre arrivée en Amérique du Nord en septembre, nous avons dormi dans un petit meublé avec le matelas posé à même le sol dans le salon pour laisser la seule chambre disponible à Caleb. En arrivant, tout était sale et il a fallut nettoyer. Nettoyer la machine à laver qui avait encrassé tous nos habits dès sa première utilisation, nettoyer le sol et le lit qui reluisaient d’une graisse puante, nettoyer la vaisselle crasseuse, bref nettoyer pendant toute une matinée alors qu’au vue du prix payé, on pensait rentrer dans un logement propre.
Puis nous avons été dans une colocation près de New York; là tout était nickel mais la nuit, il faisait très froid, le vent hivernal s’engouffrait à travers les vitres mal isolées.
Ici et là nous avons passé quelques nuits dans des hôtels, parfois convenables, d’autres fois, une épreuve à nous arracher les larmes du désespoir. Comme dans le Missouri où il a fallut changer de chambre deux fois parce que la première sentait une odeur de cigarette insoutenable et la deuxième offrait un parfum d’excrément et d’urine de chien (après inspection, les coupables se trouvaient sur les draps et sous le lit).
Lorsque des amis d’amis nous ont ouvert les portes de leur maison sans même nous connaître, la reconnaissance à toujours été le premier réflexe. Pourtant, là encore, les expériences ont été multiples. Une nuit dans un sous-sol aménagé aussi confortable que notre maison charentaise, ailleurs, une chambre où il fallait se serrer entre les valises posées au sol, le chien dormant au pied du lit et Caleb installé dans son lit de voyage dans le dernier espace disponible. Parfois nos hôtes nous ont même laissé leur chambre, dormant eux-mêmes sur le clic-clac du salon. Recevoir une telle hospitalité peut devenir parfois assez gênant.
Mais quand une femme partie en vacance nous a généreusement laissé son appartement pendant son absence, nous pensions avoir tout vu. Une fois sur place, on a découvert un chat et un chien dont il fallait s’occuper. Heureusement, l’entente avec notre chien s’est faite sans problème. Mais problème il y avait. Le logement sentait mauvais, le chat avait décoré une partie de la moquette, une autre partie était trempée, notre lit sentait mauvais et tous les draps ont du partir au lavage. Et là on découvre un matelas en mousse déchiré, posé par dessus un autre matelas encore plus rustique qui lui-même recouvrait un dernier matelas qui ressemblait enfin à un vrai matelas, mais d’il y a 50 ans. La salle de bain sentait fortement le tabac et il a fallu nettoyer tout le sol, la cuisine et la vaisselle. Mais rien à faire pour l’odeur malgré les huiles essentielles. Et quand on a compris que le chien ne nous laisserait pas dormir, mais surtout qu’il finirait par réveiller Caleb, j’ai enfin versé quelques larmes de fatigue, de stress et de frustration. Toute la nuit ça jappait derrière notre porte, aussi bien qu’à 3 heures du matin, j’ai fini par aller me coucher dans le salon sur un canapé puant et sale, pour tenir compagnie à cette brave bête qui a fini par se taire. Là dans le noir, je me suis dit que cette aventure que j’offrais à ma femme et mon fils n’était pas aussi reluisante que je l’aurai cru.
Ah que ces odeurs du chez-nous me manquent, les odeurs de mon lit, de la lessive que Mandy utilisait, de la forêt de Cloulas. Mais tout ça, c’est tellement loin maintenant que toutes ces bonnes odeurs ne sont plus que de lointains souvenirs que je n'arrive même plus à distinguer.
Après 4 mois de voyage, je pourrais dire que nous avons déjà tout connu, tout vécu, mais ce serait faux! Alors que j’écris ces quelques lignes à 5h45 du matin, installé dans ce fauteuil miteux et crasseux, un espèce de chien sauvage aux allures de dingo en manque d’amour allongé à mes pied, je me rappelle de Washington.
Ce souvenir douloureux me ramène à la réalité et me permet de voir l’obscurité d’un monde bien plus sale que ce que sent mon nez en ce moment. Un monde où dans la capitale américaine, à la station de métro L’Enfant Plaza, dort un homme tout en bas d’un escalator. Enroulé dans un sac de couchage taché et troué, il fait dos aux passants qui comme moi sortent et rentrent du métro pour vaquer à leurs occupations. Lui, il dort là contre ce mur froid, en pleine après-midi, entre ombre et lumière, la tête contre une poubelle que très certainement plus personne n’ose utiliser depuis qu’elle est devenue son oreiller. Il ne faudrait pas trop s’approcher de la misère non plus.
Quel est ce monde où on laisse l’homme dormir contre une poubelle? Quelle est ce monde où on passe devant la misère dans l’indifférence la plus totale? Mais surtout quelle est cette misère qui transforme la vie en ruine?
Si j’habitais Washington, est-ce que j’aurai osé accueillir cet homme chez moi, dans ma maison, là où dorment ma femme et mon fils? Probablement pas. Et est-ce qu’il aurait accepté l’invitation? Probablement pas non plus. Malheureusement je n'ai pas de solution face à la misère humaine à grande échelle.
Et alors qu’on s’approche de la Californie, quel paysage urbain va s’offrir à nos yeux là-bas? Certes, il y a la Silicon Valley, les multinationales, l’industrie du divertissement, Hollywood, le surf et j’en passe. Mais il y a aussi l’industrie de la pornographie, l’esclavage sexuel, les addictions, les sectes, une immense précarité et des tentes installées en plein cœur de Los Angeles où la misère côtoie les étoiles.
Qui peut bien croire que l’homme est foncièrement bon?
Qui peut dire de ces sans-abris qu’ils sont indignes?
Nous portons tous en nous cette indignité, l’indignité d’être appelé humain, l’indignité d’avoir tous le même sang et pourtant, l’audace de croire que ceux qui tombent ne sont pas nos semblables.